Le prix Wablieft pour le langage clair 2023 est décerné au projet qui reformule en langage clair la déclaration des droits lors d’une arrestation.
Ce projet est assez particulier, car il n’est pas très médiatique et le résultat tient sur une seule feuille A4. Pourtant, c’est un document crucial pour avoir une bonne justice.
DQ Legal Design fait partie du groupe de travail chargé de reformuler ce document, en tant qu’expert en communication juridique. Nous revenons sur le processus fascinant qui a transformé un document long et difficile en une déclaration des droits concise, facilement compréhensible et ciblée pour les personnes arrêtées. Elle est actuellement testée dans plusieurs zones de police.
Une justice correcte
La nouvelle déclaration des droits tient sur une page A4, mais c’est un document très important. Car une justice correcte commence par la conduite correcte de l’arrestation et du 1er interrogatoire.
Et oui, une arrestation peut arriver à n’importe qui. Pas besoin d’être un criminel de rue récidiviste pour cela.
Par exemple, vous pouvez vous retrouver sans méfiance dans une fête où la police fait une descente parce qu’il y a du trafic de drogue.
Vous pouvez aussi être impliqué dans une bagarre dans un pub où la police doit intervenir.
Ou encore, vous pouvez participer à une manifestation qui dégénère.
Si vous êtes arrêté, n’aimeriez-vous pas connaître immédiatement vos droits ?
L’arrêt Salduz
Le « making-off » commence en 2001, avec Yusuf Salduz, un jeune Turc de 17 ans condamné à une peine de prison en Turquie pour avoir prétendument participé à une manifestation interdite et accroché une banderole.
Il fait des aveux lors d’un interrogatoire de police, mais il les retire plus tard. Il dit qu’il a subi des pressions. Il n’a pu parler à un avocat qu’après l’interrogatoire.
Il est condamné à 2 ans et demi de prison. Cette condamnation est fondée sur les déclarations qu’il a faites pendant l’interrogatoire.
Devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Salduz a fait valoir que son droit à un procès équitable avait été violé, parce qu’il avait été privé de l’assistance d’un avocat pendant l’interrogatoire de la police. Ses aveux faits pendant l’interrogatoire, mais retirés après, avaient été utilisés par le juge comme preuve contre lui.
La Cour européenne des droits de l’homme a décidé en 2008 que le droit à la défense de Salduz avait été violé, parce que son avocat n’était pas présent lors de l’interrogatoire.
(source: wikipedia).
La loi Salduz
La loi Salduz du 13 août 2011 a mis le droit pénal belge en conformité avec l’arrêt Salduz.
Cette loi prévoit notamment de nouvelles règles concernant :
- · l’interrogatoire, et la consultation d’un avocat avant ;
- · l’assistance d’un avocat pendant l’interrogatoire ;
- · le droit de contacter un conseiller confidentiel ;
- · de nouvelles règles sur les visites de lieux ;
- · etc.
Au niveau européen, une directive européenne1 prévoit que quand des personnes suspectes ou poursuivies sont arrêtées ou détenues, elles doivent être informées de leurs droits avec une déclaration des droits écrite.
Cette directive a créé une déclaration des droits utilisée dans tous les pays de l’UE. Le document existe dans toutes les langues européennes bien sûr, mais aussi par exemple en uru et en vietnamien.
Un document pas clair dans une situation vulnérable et stressante
Légalement, la police doit donc informer toute personne arrêtée de ses droits. Mais dans la pratique, le document utilisé pour la déclaration des droits n’est pas compréhensible pour les suspects.
Plusieurs projets de recherche européens ont montré que la déclaration des droits utilisée n’est pas adaptée pour que les personnes arrêtées comprennent correctement leurs droits.
Pourtant, la directive européenne exige explicitement que l’information soit accessible :
Le document utilisé est juridiquement correct et complet, mais tout sauf clair pour la personne arrêtée.
Le document est :
- beaucoup trop long ;
- rédigé dans une langue difficile ;
- structuré de manière illogique ;
- encombré d’informations inutiles ;
- etc.
Résultat : les personnes arrêtées ne lisent pas le document, ou ne le lisent pas en entier. Ou elles ne comprennent pas ce qu’elles lisent.
L’accessibilité d’un document mérite une attention particulière, surtout quand les utilisateurs sont vulnérables. Ils sont dans une situation stressante lorsqu’ils doivent lire et utiliser le document.
Vers un document en langage clair
Un projet européen « Access Just » est lancé en 2018, en coopération avec Fair Trials Europe, pour retravailler la Déclaration des droits pour la rendre conforme à l’exigence d’accessibilité de la directive 2012/13/UE.
La Belgique est l’un des pays pilotes pour cette reformulation. Droits Quotidiens est intégré au groupe de travail pour guider le processus en tant qu’expert en legal design et en langage juridique clair.
Nous avons rendu ce document clair, accessible et utilisable, en collaboration avec tous les partenaires.
Comment avons-nous procédé ?
1. Formation
Après une phase de recherche, Droits Quotidiens et Fair Trials ont élaboré une formation en « langage clair » pour les avocats et les juges actifs dans les procédures pénales en Belgique.
Nous avons organisé 2 sessions pour 2 groupes : 1 groupe d’avocats, et 1 groupe de juges et magistrats. Chaque groupe a reçu 2 demi-journées de formation, pour pouvoir travailler et réfléchir entre les 2 sessions.
Les objectifs de la formation :
- Sensibiliser les participants à l’importance du langage clair.
- Enseigner aux participants une méthode de langage clair.
- Appliquer cette méthode à la déclaration des droits.
Pendant la formation, les p
articipants ont donc fait des exercices sur la déclaration des droits.
Le but des exercices :
Déterminer :
- le public cible ;
- l’objectif du document ;
- le contexte dans lequel le document est utilisé.
- Sélectionner les informations pertinentes et importantes;
- Organiser les informations sélectionnées selon la logique des personnes arrêtées;
- Réécrire le document en langage clair.
La formation a donné beaucoup d’idées et d’instructions. Elle a donné aux experts une base fructueuse pour retravailler la déclaration des droits.
2. Créer, évaluer et optimiser
Après la formation, une phase de création, d’évaluation et d’optimisation.
Nous avons impliqué des professionnels juridiques et des policiers, pour avoir leur avis et leur feedback.
Logique, puisque les policiers sont les premiers à entrer en contact avec les personnes arrêtées, avant même les magistrats et les avocats.
Le contact avec les policiers a aussi permis d’insister sur l’importance d’un langage clair lors des arrestations.
Au fil des échanges, la déclaration des droits évolue vers un nouveau modèle, rédigé en néerlandais, en français, en anglais et en arabe. Ce sont les 4 langues les plus couramment utilisées lors des arrestations.
3. Tests avec le document révisé
Nous avons ensuite testé le document remanié auprès des utilisateurs finaux, les personnes arrêtées.
Un échantillon de suspects et de professionnels sont interrogés sur une base volontaire, par des étudiants en criminologie, sous la supervision de leur université, de la police et du département de politique criminelle du SPF Justice.
La nouvelle déclaration des droits est actuellement testée dans 3 zones de police : Bruxelles Nord, Namur Capitale et Limburg Regio Hoofdstad.
Les zones de police ont aussi des séances d’information sur la manière d’informer les suspects sur leurs droits.
Après le test et les ajustements éventuels, la nouvelle déclaration des droits sera introduite dans tout le pays en 2024, en 52 langues.
Embed genially :
À quoi ressemble aujourd’hui la déclaration des droits ?
1. De la logique juridique à la logique de l’utilisateur
Le nouveau document est une page A4, au lieu des 4 pages avant.
Seules les informations pertinentes pour les personnes arrêtées ont été sélectionnées.
Par exemple, on a supprimé les informations sur les droits du suspect lors de sa comparution devant le juge d’instruction.
En effet, ces informations ne sont pas pertinentes pour les personnes qui viennent d’être arrêtées, et qui n’iront peut-être jamais devant le juge d’instruction.
Ces informations deviendront peut-être pertinentes plus tard. Elles sont maintenant dans un autre document que la personne reçoit plus tard, si elle va devant le juge d’instruction.
Les informations ne sont plus organisées et regroupées selon la logique juridique, mais selon la logique de l’utilisateur (la personne arrêtée).
· Tout d’abord, il y a les informations sur la durée de l’arrestation (48 heures) et sur ce qui se passe ensuite. C’est une information essentielle, qui concerne tout le monde. Dans le document original, ces informations se trouvaient à la toute fin.
· Ensuite, les informations ont été regroupées sur :
o les droits qui s’appliquent toujours (droit de garder le silence, droit à un interprète, droit à un avocat, etc.) ;
o les droits avant l’interrogatoire de police ;
o les droits pendant l’interrogatoire de police ;
o les droits après l’interrogatoire de police.
2. Mise en page et visualisation
- Le document a été mis en page de manière claire, avec des couleurs fraîches et des pictrogrammes clairs.
- Les mots et les phrases clés sont mis en évidence par des caractères gras.
- Les informations sont divisées en sous-titres et en listes verticales (bullet points).
- Le style visuel rend le document facile à parcourir, utilisable et lui donne une certaine légèreté rassurante.
3. Langage clair : phrases courtes, mots de tous les jours et ton direct
- Le langage est adapté, avec des phrases courtes et des mots de tous les jours.
- Le ton est personnel et direct.
Comparez les phrases suivantes :
« Vous avez le droit de faire informer un tiers de votre arrestation ». 😕
devient :
« Pour mon interrogatoire, j’ai le droit de prévenir quelqu’un ». 💡
Enseignements et conclusions
Quelles conclusions et leçons pouvons-nous tirer de ce projet ?
D’abord : croire que c’est possible.
Ce projet montre qu’il est possible de passer d’une information juridique complexe à une communication accessible et claire, qui peut être comprise et utilisée par tous. Y compris et surtout pour les personnes en situation de vulnérabilité et de stress.
Placer d’emblée l’utilisateur au centre.
Ce n’est pas une simple intention. Concrètement, nous avons organisé des ateliers avec des intervenants de différents horizons (avocats, magistrats).
Si cela n’est pas possible, vous pouvez envisager un exercice de persona pour connaître les connaissances, le contexte et la situation de l’utilisateur final.
Dans tous les cas, ne le faites pas seul. Travaillez ensemble pour recueillir les points de vue et les perspectives d’autres personnes sur le sujet. C’est un exercice indispensable pour raisonner du point de vue de l’utilisateur dans la suite du projet.
Oser supprimer et réorganiser les informations.
Une sélection appropriée des informations et de la législation pertinentes pour l’utilisateur final découle d’un exercice approfondi et collaboratif.
Dans ce projet, par exemple, nous avons vu que les informations sur le juge d’instruction n’étaient pas pertinentes pour les personnes arrêtées (qui n’iront peut-être pas devant le juge d’instruction).
Laissez donc le besoin d’être clair l’emporter sur la peur de ne pas être complet.
Rendre visuel
La déclaration des droits originale avait une présentation claire et soignée. Mais elle ne donnait pas envie de lire, et n’était pas conviviale.
Les pictogrammes, les visuels, l’utilisation des couleurs dans la nouvelle version rassurent, éclairent, rendent le document plus attrayant, plus facile à scanner et donc plus ciblé.
Tester, tester et … tester.
Dans ce projet, faire test en situation réelle n’était pas évident. Une personne qui vient d’être arrêtée n’est pas tout de suite prête à évaluer un document.
Pourtant, des étudiants ont pu interroger des utilisateurs volontaires après l’interrogatoire de la police.
Ce n’est sans doute pas une situation de test parfaite. Mais cela ne doit pas empêcher de tester.
Ce test a donné des informations utiles pour améliorer le document.
En témoigne cette anecdote : la première version retravaillée était un dépliant recto-verso, pliable pour tenir dans la poche arrière du suspect. Très pratique, cette version était en fait inutilisable pour la police sur le terrain : ils ne pouvaient pas stocker le dépliant en couleur et en format de poche et n’avaient pas le temps de le plier.
Reconnaissance et sensibilisation
Une reconnaissance pour le travail acharné et minutieux (qui n’est pas encore tout à fait terminé).
Le 5 décembre 2023, le moment était venu : la déclaration des droits a reçu le prix Wablieft.
Avec, espérons-le, un effet sur la prise de conscience dans le monde juridique que le legal design et le langage clair permettent de créer des documents et des produits juridiques centrés sur le citoyen.
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